Le premier sujet de nos discussions philo/politique a été le travail.
Il y avait la polémique sur le chômage avec Roussel qui plantait encore un énième couteau dans le dos de son prétendu camp politique en opposant la gauche du Travail et la gauche des allocs. (Merci boloss!)
Et la réforme des retraites était l'étape suivante.
De quoi nous interroger sur ce que le travail représente pour nous.
Comme on ne peut pas traiter un sujet dans son ensemble, j'ai choisi un angle qui me parlait pour questionner la "valeur" Travail.
Le travail est-il une source d'aliénation ou d'émancipation?
On parle beaucoup, à droite, de la "valeur travail".
Je pense que le travail n'est pas une valeur, mais un concept que l'on peut, si on le veut, investir de valeurs.
Autrement dit, le travail n'a pas de valeur en soi mais on peut y accorder une valeur, une importance ou un rôle selon son système de valeur personnel.
Le travail peut être une vocation, mais il peut aussi être de l'esclavage.
Il y a des métiers épanouissants et aussi des sales boulots.
Avec l'écologie, on est même amené à se dire qu'il y a de bonnes raison de ne pas travailler, qu'il est temps de refaire l'éloge de la paresse.
Le travail est un concept qui décrit une activité qui demande un effort (physique ou intellectuel) à un individu afin de réaliser une tâche (création, entretien, service...).
Il s'agit, au départ, de transformer la nature afin d'assurer sa subsistance.
Il y a originellement une notion de contrainte fonctionnelle.
Ensuite, il s'agit aussi de définir son rôle dans la communauté.
Il y a une notion existentielle.
Certains partisans du travail voient donc l'oisiveté comme une menace.
Or, l'oisiveté fourni le repos, qui permet aussi de reconstituer la force de travail. Mais pas seulement. Il y a aussi les loisirs qui sont une grande source d'épanouissement et de sociabilisation positive. Donc un enjeu de santé psychique.
Car, à quoi bon mener une existence si elle est dénuée de bonheur?
Il apparait donc qu'une bonne vie chercherait sans doute un équilibre entre travail et oisiveté. Le Grâal serait même un métier épanouissant.
Il y a donc un problème lorsque le travail :
- Ne permet pas de subvenir à ses besoins. (Nécessité)
- Ne permet pas de se reposer. (Temps libre)
- N'est pas épanouissant. (Aliénant)
- Est trop laborieux, épuisant... (Labor)
- N'est pas utile. (Sens)
Il y a une première falsification à démasquer. Le mot "travail" est souvent utilisé pour le restreindre à "l'emploi".
L'emploi signifie travailler pour autrui contre une rémunération. Comme le Salariat, qui n'est qu'une forme de travail parmi d'autre. Mais c'est la forme sur laquelle repose le capitalisme et donc la plus défendue par ce dernier.
En tout cas avant l'ubérisation (salariat déguisé pour échapper aux contreparties sociales).
On peut distinguer trois type de travail (pour grossiériser un peu).
Le travail libre, le travail salarié et le travail forcé. (dans cet ordre).
- Le travail libre ne signifie pas que l'on est libre de ne pas travailler. Mais c'est une question implicite (Le droit au travail existe mais pas le devoir de travailler). La question est plutôt de choisir son activité et, plus ou moins, les conditions de sa pratique.
Le travail libre est sensé favoriser l'épanouissement et la personnalisation pour une activité la plus épanouissante possible. Ce qui se rapproche de la vocation.
Le travail libre conserve sa part de contrainte (nécessité de subvenir à ses besoins dont celui d'être actif par exemple) mais il est très possible de trouver une formule qui nous correspond.
- Le travail salarié signifie que le.la travailleur.euse offre sa force de travail en échange de l'obtention d'un salaire. Le salaire est cependant un moyen de subsistance ponctuel, qui s'épuise (on reçoit de l'argent, non du capital, et on dépense l'argent). Il y a une promesse de sécurité ou de protection (contrat et droit du travail).
Mais cela ne peut marcher qu'à partir du moment où il y a des gens privés de capital, c'est à dire, privés des moyens de production, des outils (moyens de subsistance pérenne).
Le.la travailleur.euse est contraint.e de se louer (devenir son propre esclave). Il.elle perd donc une grande partie de sa liberté par la subordination à la hiérarchie. C'est un système inégalitaire à la tête duquel se trouve le bourgeois (propriétaire des moyens de production et d'échange selon le modèle de la propriété privée excluante).
Le bourgeois se sert de son capital pour tirer profit du travail de ses employés (exploitation) et de s'en approprier les fruits (la plus-value). Ce qui lui permet d'accroitre son capital etc...
La promesse de sécurité faite aux travailleur.euse.x est-elle remplie ? Celle que le.la salarié.e puisse s'enrichir, c'est à dire accéder au capital, est-elle remplie ? Celle que le capital puisse avoir une utilité collective, profite à tous.tes (ruissellement) ?
Je ne crois pas. Les observateur.ice.s sérieux.ses, en tous cas, constatent que ce n'est pas le cas. Le capitalisme repose sur des mythes, dont celui de l'épanouissement du salariat.
- Le travail forcé suppose la contrainte extérieure, la violence, l'esclavage.
L'esclave n'est pas libre. Le fruit de son travail appartient donc à son maître. Comme les oeufs d'une poule appartiennent au propriétaire de la poule.
Il y a eu une époque où salariat et esclavage se sont côtoyés. Comme au XIX° siècle, début de l'ère industrielle.
à cette époque, la plupart des salariés vivaient dans la misère (usine, mines...). Certains esclave (très très rares) étaient responsables de commerces et pouvaient avoir de meilleures conditions de vie que les salariés de l'industrie. Le code noir, malgré sa légalisation officielle de la traite et donc du racisme (ségrégation), imposait au propriétaire esclavagiste de prendre "soin" de ses esclaves (ce qui est très relatif car ils avaient, entre autres horreurs, le droit de les battre, voir de les tuer, mais selon certains critères. Ce qui était, pour l'époque, un progrès, car avant c'était encore pire, sans limite).
Or le patron n'a aucun devoir de soin envers ses employés.
Ils pouvaient se contenter de donner une paye et se laver les mains de ce qui se passait ensuite. Si ses employés crèvent la dalle, ce n'est pas son problème. De toute façon un autre le remplacera.
On peut parler de la 3ème journée des femmes (boulot-foyer-prostitution).
On peut parler du chantier du canal de Panama où le taux de mortalité était très élevé. Il était plus rentable de tuer à la tâche des employés que de risquer de perdre ses esclaves (perte de propriété).
Voici donc un dilemme (théorique bien sûr):
Vaut-il mieux être esclave mais voir ses besoins garantis ou être libre pour vivre dans la misère ? C'est la question qui se pose aujourd'hui quand on cherche un métier. Sommes-nous si libre que ça lorsque nous sommes "esclaves du ventre" ? C'est à dire, forcé à travailler pour ne pas crever la dalle.
Il existe donc des formes plus perverses de travail forcé.
On peut ajouter aussi le travail des enfants (à l'école, dans la famille), celui des prisonniers, des personnes sans papiers, des chômeurs que l'on menace de priver de droits, celui des animaux, des robots...
Le cas des chômeurs est limite. Beaucoup acceptent des jobs de merde (bullshit jobs ou travail précaire ou aux conditions dégradantes),contraints et forcés par la menace de la misère (contrainte fonctionnelle), ou la honte (existentielle).
Les dispositifs sociaux, comme "l'assurance" chômage, sont conçues comme un rempart au travail forcé. Ce n'est pas de l'assistanat, mais une protection.Celles et ceux qui veulent mettre en péril ce principe veulent en réalité transformer le droit au travail en devoir de travail et réinventer le travail forcé.
Voici quelques argument pour le travail :
- Travailler permet de produire pour assurer la prospérité de la société et ainsi assurer sa propre subsistance. Voir même, obtenir une amélioration générale des conditions de vie par la contribution de chacun.e à l'effort collectif.
- Travailler permet de subvenir à ses besoins, ce qui permet de devenir indépendant. Ce qui mène à l'émancipation.
- Travailler permet de se sociabiliser et d'avoir un rôle dans la société. Autrement dit, avoir une place en se rendant utile. (Insertion).
- Mais, notre job est-il vraiment utile à la société ? Si oui, est-il plus utile que néfaste ? Est-il utile pour une minorité ou pour la majorité ? Si je ne le faisais pas, cela changerait-il quelque chose à la société ? Et si oui, dans quel direction ?
La menace du changement climatique a provoqué une forte crise du sens.
Aussi, il y a du travail utile qui n'est pas reconnu, comme le travail domestique ou le bénévolat qui sont pourtant sans doute bien plus productifs et utiles à la société.
Le travail rémunéré - qui compte dans le PIB - ne représente qu'un quart de la contribution aux conditions qu'il faut réunir pour une société prospère. Le travail bénévole et domestique représente la moitié. Le reste est le service écosystémique (la nature qui se renouvelle etc...).
- Le travail rempli-t-il sa promesse de subsistance ? Pas tant que ça étant donné les conditions de vie qui se dégradent, la pauvreté qui augmente et la stagnation sociale (Le mouvement des gilets jaunes peut être vu comme un mouvement de révolte contre l'arnaque, le manquement à cette promesse).
- Le travail fournit-il une sociabilisation de qualité ? Le travail salarié, dans une société capitaliste, repose sur la concurrence, la subordination. On peut être mit en relation avec des personnes qui ont un effet plus toxique qu'autre chose (harcèlement, évaluation, management agressif, burn out...).
- Le travail est-il toujours une source de fierté et d'insertion ? Pas vraiment. Il y a des boulots dégradants, qui peuvent provoquer de la honte. Il y a des horaires, un épuisement et un manque de temps libre, qui vous isolent. La dépression et d'autres soucis de santé liée au travail peuvent produire de la désinsertion. évidemment, généralement dans les couches les plus exploitées. La société hiérarchique, aristocratique, impose un système de valeur souvent corrélé à la classe sociale.
- Le travail assure-t-il vraiment l'indépendantisation et l'émancipation ? Les femmes, les immigrés et les ados ont-ils.elles eu simplement à travailler pour s'émanciper et devenir indépendant ? Parfois même, cela à eu pour conséquence le contraire. Augmentation des responsabilités, des contraintes, de la charge mentale, des assignations et injonctions...
On peut aussi parler des boulots abrutissants (tâche répétée et peu stimulante...) ou le fait que depuis les années 80, le travail ne produit plus d'amélioration de la qualité de vie et que, depuis récemment, l'espérance de vie chute.
Le travail est globalement vécu comme aliénant. Car la masse prolétaire, qui manque de pouvoir sur son activité, y est plus contraint qu'autre chose. Et on attend toute sa vie d'en être libéré (Retraite).
Si les gens avaient le choix, que feraient-ils.elles ?
Apparemment, pas celui de l'oisiveté. Penser que si on était pas obligé de bosser, on ne foutrait rien est un mythe. Ce ne sera jamais la règle.
Il y a un besoin fondamental de l'être humain à être actif. Mais pas à être exploité.
Beaucoup aimerait avoir "la chance", de choisir un métier qui leur plait.
Mais ce qui les en empêche est assez simple.
Manque de moyens pour monter son truc, pour se former. Un écosystème qui n'est pas propice. Une détermination sociale incapacitante qui va même empêcher d'y penser. Manque de pouvoir quoi.
Ceci est le résultat du capitalisme qui capture la richesse et décide de son usage. Il en prive donc tous les autres. Maintenir dans la dépendance est pratique pour pouvoir continuer à exploiter. La boucle est bouclée.
La destruction du modèle social, qui protège, engendrerait une grande misère qui formerait une armée de réserve à la merci des exploiteurs capitalistes. La précarité est une bonne affaire.
J'ai expérimenté, comme tout le monde ou presque (il y a des nantis qui ne pourront pas en dire autant, car si il y a des champions de l'oisiveté, c'est bien les riches), le travail salarié. Pourtant y compris dans un domaine créatif (le jeu vidéo).
Je manquais de temps libre pour m'épanouir. J'étais parfois l'ombre de moi-même. Et cela entre mes 17 et mes 25 ans. Au moment où mon ciboulot était à son pic de capacité. Autant dire que j'ai gâché une bonne parti de mon potentiel. Ce qui a occasionné des troubles (au sein de l'entreprise, avec la hiérarchie, le ponk en moi) qui se sont traduits par des soucis physiques et psychologiques (pas graves mais ce qui me permet d'imaginer ce que c'est pour celles et ceux qui se retrouvent coincés).
Lorsque le travail alimentaire est à temps plein, on perd sa vie à la gagner.
On prétend que le temps libre est la récompense après le travail.
Je prétend avoir l'expérience inverse depuis que je suis décidé à être un travailleur libre. J'ai besoin de temps libre pour travailler.
Je dois avouer que j'ai peur du travail forcé.
Ma situation est précaire et inconfortable (c'est souvent lié).
Les élections de 2022 portaient une menace directe (Que ce soit le candidat Macron ou Lepen, mêmes fachos, ce n'est plus à prouver). D'où la mise au point que je me suis senti obligé de faire au sein de ma famille (comme j'en parlait à la fin de mon article du 8 avril 2022 - mieux vaut une mauvaise gauche qu'une bonne droite).
Le vrai visage du capitalisme est autoritaire. Donc fasciste s'il est en crise.
Travail, Famille , Patrie.
L'homme travaille pour assurer la subsistance de sa famille -> La femme élève ("fabrique") les enfants et entretient le mari pour qu'il soit productif -> les enfants deviennent des soldats ou des travailleurs ou des éleveuses de soldats et de travailleurs -> La patrie est alimentée en ressources humaines afin qu'elle soit suffisemment productive pour être compétitive.
Le monde du travail n'est pas une incitation, mais un rapport de force.
L'ogre a besoin de chaire fraiche.
Voilà toute l'ironie de l'expression "le travail rend libre" (reprise par les nazis dans les camps de travail) et adaptée par Macron "l'émancipation par le travail".
Ce qui sous-entend le refus de toutes les autres formes d'émancipation.
Politique, philosophique, culturelle ou artistique...
Ce modèle d'émancipation par le travail est validiste et ceux qui ont poussé cette vision à son terme (comme le darwinisme social) ont logiquement cherché à se débarrasser des inutiles. Les individus pas assez rentables sont trop coûteux, des "charges", des poids dont il faut se délester.
Le travail n'est donc pas une valeur, à moins qu'on considère une prison comme une valeur. On peut aimer sa cellule mais on a pas le droit de vouloir y enfermer tout le monde (revoir Salo, les 120 journées de sodom de Pasolini pour comprendre ce qu'est le fascisme et en quoi l'entreprise capitaliste est identique).
Le travail est cependant une activité humaine incontournable et il faut alors l'investir de valeurs adéquats.
La question est : Qu'est-ce que le travail en démocratie ?
Autrement dit, qu'est-ce que le travail mit en cohérence avec les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité ?
Comme on dit : on a essayé de démocratiser la vie publique (et il reste encore masse de boulot à faire) en gardant la monarchie dans l'entreprise.
La plupart des gens passent 5 jours par semaines dans un système tyrannique et une après midi tous les 5 ans dans un isoloir. Le calcul est défavorable.
- Travail libre et liberté au travail.
Le revenu universel ou salaire universel ou salaire à vie ou je ne sais quel concept est le plus approprié (je n'ai pas encore bossé ce sujet, alors allez voir le taf de Bernard Friot, parait que c'est top même si il y a un problème de dérive bureaucratique) aurait l'avantage majeur de soustraire les travailleur.euse.s à la prédation et la contrainte capitaliste.
Il faudrait aussi remettre les orientations stratégiques de la production à une organisation autogérée et d'association libre. Ce qui permettrait aux populations de remodeler la société de façon plus cohérente avec leurs aspirations et donc plus représentative.
Avant toute chose, cela nécessiterait la suppression de la propriété privée des moyens de production et d'échange (donc mettre fin au capitalisme, rien que ça, mais c'est pas si difficile, ça a déjà existé). Ce qui permettrait de socialiser les profits, et donc de financer tout le système les doigts dans le nez. Juré!
Mais comme on pense aussi au bonheur des patrons, cela les libèreraient de l'objectif du profit et donc ils partageraient les intérêts des employés (cette relation serait abolie car la hiérarchie disparaitrait pour laisser place à une autre organisation du travail).
- Travail égalitaire.
Fin de la hiérarchie donc fin de l'exploitation. Fin de la concurrence donc coopération. Relations d'égalité donc de meilleures relations.
Répartition équitable et plus juste des richesses.
Réhabilitation du "mérite" (c'est à dire selon la définition opposée aux privilèges) débarrassé de la justification des inégalités.
Tout le monde mérite de vivre dignement, de pouvoir contribuer comme il.elle le souhaite, le peut.
Fin de la cooptation, de l'héritage (fruit de l'accumulation primitive du capital).
Fin du monopole de classe des décisions stratégiques qui asservi l'effort collectif au profit de leurs intérêts privés.
Ce sont ceux qui parlent le plus de la valeur travail qui en font le moins.
- Travail fraternel.
Fin de la hiérarchie et de la concurrence. Coopération et relations égalitaires donc de meilleures relations. Partage de réalité.
Participation par l'autogestion et la libre association qui permet d'adhérer au projet commun, par l'usage de propriété collective.
Travail exercé selon le respect du bien commun, cohérent avec les enjeux écologiques, la dignité et les droits fondamentaux du vivant.
Le principe du profit pousse le capitaliste à obtenir toujours d'avantage de ses subordonnés tout en participant le moins possible (impôts, actionnariat, cotisations...).
La suppression des classes supprimerait l'un des antagonisme les plus délétère et pourtant structurant de nos sociétés.
La répartition juste et équitable des richesses tarirait la cause principale de la criminalité.
Si il y a bien un travail que je soutien, c'est celui de la mise en oeuvre d'une société qui éradiquerait le travail.
Le travail ne rend pas libre, il faut libérer le travail de la contrainte capitaliste.
Mais pas au sens où l'entendent les capitalistes qui passent leur temps à confondre liberté et abus/privilège. Et qui mentent en prétendant que la liberté est la conséquence du travail.
Libérer le travail de la contrainte capitaliste ne se fera pas sans libérer le travailleur d'abord.
Parce que c'est une question de bonheur et d'émancipation, parce que c'est une question de démocratie, parce que ça sauvera le monde. (enfin ce qu'il en restera après tant de temps passé à travailler pour sa destruction).